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#1 Lacenaire, le poète fantasque sanguinaire

  • Photo du rédacteur: Benjamin Godart
    Benjamin Godart
  • 2 juil. 2020
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 22 déc. 2020


Frontispice des mémoires de Lacenaire. © BnF - Gallica
Frontispice des mémoires de Lacenaire.

Le 13 décembre 1834, assis devant une table de jeu de fortune Lacenaire jette ses dés d’un geste nonchalant. Lorsqu’il n’écrit pas, il vient dépenser ce qu’il lui reste d’argent dans ce comptoir misérable de la capitale situé dans le quartier du Temple. L’air pensif, il ne se soucie pas de la partie qu’il vient de perdre, pas plus que de son adversaire qui s’empresse de ramasser les piécettes posées sur le coin de la table. En temps normal cela l’aurait agacé et il se serait dépêché de sortir les ultimes deniers qui tapissaient le fond de sa poche pour relancer une partie. Mais il rumine la même idée entêtante depuis le début de la matinée.


Plus tôt dans la journée il a rencontré Victor Avril, son ancien compagnon de cellule tout juste sorti de la prison de Poissy. Tous deux ont parlé de leur ancien acolyte Jean-François Chardon, qui vient lui aussi de quitter les geôles. « Tante Madeleine » – ils l’appelaient ainsi en raison de ses mœurs douteuses – avait pour habitude de se déguiser en prêtre pour soutirer une obole aux croyants sous prétexte de charité. Un sourire se dessine sur le visage de Lacenaire. L’usurpateur avait dû bénéficier largement de l’aumône chrétienne. Il est temps de s’emparer de sa cagnotte mal acquise et Avril est le complice idéal pour ce méfait. Il se lève, enfile son pardessus élimé, dépoussiére son chapeau et s’engouffre dans la rue du faubourg du Temple en direction du domicile de son compère afin de lui faire part de son plan.


Il ne faut pas longtemps à Lacenaire pour convaincre Avril de se rendre chez « Tante Madeleine ». Tous deux se dirigent vers le passage du Cheval-Rouge, où habite leur future victime en compagnie de sa mère. Ils longent la rue Ponceau et attendent patiemment que le soleil termine sa course, en prétextant une visite de courtoisie. Lacenaire s’adosse sur le côté d’une fenêtre. Depuis plus d’un mois il erre sur les pavés de Paris, cherchant à sortir du cercle de misère qui l’entoure. Il a employé tous les moyens honnêtes, essayé de monnayer ses talents de poète avant de se résoudre à voler et falsifier des lettres de change pour accumuler un misérable pécule. Partout il n’a rencontré que du dédain et des promesses trompeuses. Aucune main tendue. Des gens méprisables qui se disent intègres alors qu’ils puent la fourberie, lui tracent un chemin duquel il ne peut pas s’écarter. Il en a la nausée. « La société aura mon sang tôt ou tard, mais j’aurai le sang de la société » se dit-il. Il glisse sa main sous son pardessus et sent le contact rugueux, froid et rassurant du tiers-point (une lime triangulaire) dissimulé dans sa poche intérieure.


Avril le secoue, la rue est désormais plongée dans l’obscurité. Ils s’enfoncent dans le passage sombre : l’appartement miteux de leur victime se situe de l’autre côté vers la rue Saint-Martin. Tandis que son compère frappe à la porte, Lacenaire bout d’impatience. Chardon vient finalement leur ouvrir en affichant un large sourire : « Ah mes chers amis vous voilà », dit-il de sa voix mielleuse. Il les fait entrer et, tout en parlant, referme la porte derrière eux. Lacenaire n’écoute déjà plus. Il serre la lime dans sa poche, se retourne et dégaine son arme à une allure folle. Chardon lui fait désormais face. Dans son regard passe une ombre lorsqu’il comprend le sort qui l’attend. Lacenaire lui enfonce le métal cranté dans le ventre. Sans lui laisser le temps de se ressaisir, il retire la lime et frappe de nouveau un peu plus haut au niveau de l’estomac en le tenant fermement par l’épaule. Du sang coule le long de son avant-bras. L’homme étouffe un cri, les yeux remplis d’horreur, se courbe sous l’effet de la douleur et tombe à genoux sur le sol, haletant. A ses côtés, Avril saisit le manche en bois d’un lourd merlin (sorte de hache), dissimulé jusque là le long de sa jambe, le soulève dans les airs, avant de l’abattre férocement sur sa victime qui se traine sur le sol. Le tranchant de l’arme vient s’enfoncer dans sa poitrine, ne laissant aucune chance à Chardon qui lève mollement le bras pour se défendre.


Lacenaire laisse derrière lui Avril qui vient d’abattre une nouvelle fois sa hache car un gémissement s’est échappé de la chambre voisine du couloir : la mère de Chardon a sans doute été réveillée par le bruit. Son tiers-point toujours à la main et les yeux injectés de sang, l’assassin entre dans la chambre et se jette sur la pauvre femme étendue sur son lit. La vue de cette impotente, incapable de bouger du fait de son handicap, ne le freine pas dans sa folie. La proie est facile. Il frappe à sept reprises tandis que les yeux de la vielle matrone roulent dans leurs orbites. Son sang vient éclabousser le visage malingre de Lacenaire. Avril entre, couvert de sang pour achever le travail à l’aide de son merlin. Puis, reprenant son souffle, il se lance à la recherche de leur récompense, fouille activement l’endroit de fond en comble et ne parvient qu’à réunir un maigre butin. Il vocifère en direction de son complice. Lacenaire, lui, prend une grande inspiration et sourit. Peu lui importe, il vient de prendre goût au sang et il va continuer son œuvre.


© WikiCommons
Le double assassinat du passage du Cheval Rouge.

Quatre jours plus tard, Pierre-François Lacenaire, aidé d’un autre complice, s’attaquera à un jeune homme chargé de l’encaissement des effets de commerce dans la rue Montorgueil. La victime parviendra à mettre en fuite ses deux agresseurs. Lacenaire sera finalement arrêté en février 1835. Il deviendra célèbre lors de son procès, en le transformant en véritable tribune de théâtre. Entre de longues tirades et la profusion de détails sur ses meurtres, l’homme ressemble bel et bien à un acteur sur le banc des accusés. Le public et les journaux se pressent pendant deux jours aux portes de l’audience pour écouter les élucubrations de l’assassin, dandy du crime. Pendant les deux derniers mois de sa vie en prison il écrit ses mémoires, fait bonne chère et reçoit de riches dames intimidées. N’ayant pas connu le succès littéraire qu’il attendait en écrivant de la poésie, l’homme devient célèbre en réclamant haut et fort la guillotine. Ce qu’il obtient le 9 janvier 1836 devant une foule de 4000 personnes.


Lacenaire à l'écran



- Les Enfants du Paradis (1945), réalisé par Marcel Carné, incarné par Marcel Herrand

- Lacenaire (1990), réalisé par Francis Girod, incarné par Daniel Auteuil.

- L'Affaire Lacenaire, téléfilm réalisé par Jean Prat, diffusé le 8 février 1957 dans le cadre de la série En votre âme et conscience. Rôle tenu par Michel Piccoli.



Série d'articles écrits pour Télérama Sortir.


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Benjamin Godart

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Jeune journaliste, passionné de culture et d'actualité. J'utilise des formats en tout genres pour informer et intéresser tous les publics.

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